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Chroniques
Beat Furrer
musique de chambre
Né en 1954, Beat Furrer débute le piano au conservatoire de sa ville natale (Schaffhausen, Suisse), avant de partir s’installer à Vienne, à la fin de l’adolescence. Il y étudie avec Roman Haubenstock-Ramati (composition) – natif de Cracovie, à qui l’on doit la musique de scène Amerika et le ballet Ulysse – et Otmar Suitner (direction), alors directeur musical à la Deutsche Staatsoper de Berlin. Lauréat du concours Jeune génération en Europe, il participe à la création de l’ensemble Klangforum Wien (1985) dont il reste directeur artistique quelques années durant. Depuis, en parallèle de la composition (résidences, récompenses), il enseigne à son tour (Graz, Francfort, etc.). Cette monographie met en avant la musique de chambre (un solo, deux duos, un trio, un sextuor) d’un créateur connu pour ses recherches sur la frontière entre silence et bruit, entre voix et instrument.
En 1989, à Vienne, est créé le premier opéra de Furrer, Die Blinden, sur des textes de Maeterlinck, Platon, Hölderlin et Rimbaud. Les trois premiers morceaux de ce disque suivent cette période féconde. Conçu pour clarinette, violoncelle et piano, livré ici par le Trio Catch, Aer (Martigny, 1991) renvoie aux philosophes présocratiques pour qui l’air est la substance fondamentale de toute chose (« Dilué, il devient feu, densifié vent, puis nuage, densifié encore plus fortement eau, puis terre, puis pierre »). Des volutes haletantes s’imposent d’emblée auxquelles les attaques violentes du piano donnent, paradoxalement, l’impulsion du souffle. Une percussion récurrente marque la transition vers une fin apaisée, quoique secouée d’un bref retour à la bourrasque initiale [lire notre chronique du 3 juin 2006].
Flûte, harpe et trio à cordes jouent …cold and calm and moving (Zürich, 1992), écrit à partir d’un célèbre sonnet de Pétrarque (1304-1374) déjà mis en musique par Monteverdi : Ho che ’l ciel, e la terra, e ’l tace (Maintenant que le ciel, la terre et le vent se taisent). Une spirale s’éloignant d’un centre imaginaire conduit aux mains féminines décrites par l’auteur de Finnegans Wake dans Giacomo Joyce, série de billets érotico-oniriques. Porté par l’ensemble proton bern dirigé par Matthias Kuhn, le premier tiers de l’œuvre fait la part belle à la harpe qui oppose sa précision à un fouillis de cordes fébriles, sert de pause entre différents relais de timbres dans un même geste ou livre un carillon régulier accompagnant un chant de flûte – ce dernier duo faisant figure de refrain. Les deux autres tiers sont fragmentaires, formant des ilots sonores au milieu d’un silence entretenu.
Fait rare chez le compositeur, Lied (Köln, 1993) se réfère à une pièce du passé, en l’occurrence Auf dem Fluße, extrait de Winterreise. « Le violon et le piano ne trouvent pas de mètre commun ; à des tempi légèrement différents, ils se rapprochent puis s’éloignent l’un de l’autre. Les sons semblent se souvenir ; le motif initial du Lied de Schubert […]semble flotter dans le lointain, sans être pourtant cité. » Quasi minimaliste, un piano très doux contraste avec le violon de Maximilian Haft d’abord incisif, puis plus nuancé (harmoniques, pizz’) afin de peindre un climat languissant et inquiet, à la limite de l’hypnose.
Poétesse autrichienne, Friederike Mayröcker (née en 1924) inspire à Furrer auf tönernen füssen (Munich, 2000) – pieds d’argile fondés sur un poème des années cinquante et une pièce radiophonique plus récente. D’une foison d’images naturelles et de sentiments, description continue d’un état, le musicien donne à entendre le processus de tâtonnement verbal et narratif qui laisse pourtant son objet insaisissable – le récurrent « etwas wie » (un peu comme), en début de vers. La comédienne Mira Tscherne, sans affects, et la flûtiste Eva Furrer variant les techniques doivent « ajouter de l’espace autour du décor théâtral et suggestif » bâti par l’auteure.
Enfin, terminons avec une pièce en arche pour les staccati doublés à l’octave, soit Étude pour piano (Bolzano, 2011) où le créateur « imbrique des lignes figuratives dans les registres extrêmes et les empile en textures toujours plus complexes » – pour citer Marie Luise Maintz en charge de la notice du disque. Après Sun-Young Nam (Aer) et Samuel Fried (Lied), Nicolas Hodges est le troisième pianiste participant à ce programme fort digne d’attention.
LB